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La fracture numérique, un enjeu dès le plus jeune âge

Dans son livre, Homo Deus, l’auteur Yuval Noah Harari nous alerte sur les dérives inégalitaires que pourrait provoquer la montée en puissance du numérique. Un poil alarmant, l’auteur nous prévient que le fossé entre ceux qui maîtrisent la technologie et ceux laissés pour compte pourrait être aussi important que celui qui existait entre Sapiens et Néandertal. Depuis que la France s’est engagée à apporter une connexion partout sur son territoire, internet est devenu plus accessible pour la majeure partie des Français. Cependant, plus de connectivité ne résout pas la fracture numérique. Selon une enquête réalisée par Emmaüs Connect en 2017, on compte 38 % d’illectronisme et 30 % de défiance et peur de l’usage du numérique. Comment ce constat est-il encore possible à l’heure de l’hyperconnexion ?


La fracture numérique n’est pas celle que l’on pense

Jusqu’à récemment, la fracture numérique différenciait ceux qui avaient accès à internet et ceux qui en étaient dépourvus. On a beaucoup parlé des « digital natives », autrement dit en français : « enfants du numérique », une expression inventée par le concepteur de jeux vidéos américain Marc Prensky. Sauf qu’en réalité, dans l’éducation et par les études, on constate un lettrisme numérique inégal et paradoxal. Par lettrisme numérique, il faut comprendre la capacité d’un individu à produire et comprendre des contenus numériques, voire à développer lui-même des interfaces.

Selon l’étude “L’illectronisme en France” (CSA, 2018) près d’un tiers des Français ont déjà renoncé à faire quelque chose parce qu’il fallait utiliser internet, en particulier concernant les loisirs, les démarches administratives et les relations sociales (familiale, amicale et sentimentale). Pour ces “abandonnistes”, internet reste un outil complexe, mais digne d’intérêt. Fait surprenant, l’étude CSA a notamment révélé que cette tranche de la population était particulièrement bien équipée en outils numériques. Ainsi, la fracture numérique s’est en quelque sorte morcelée en sous-parties. Actuellement, l’écart ne se situe plus au niveau de l’accès à internet, mais concerne plutôt la manière dont les utilisateurs s’en servent : pour étudier, s‘informer, se divertir ou travailler.

Comment se traduisent les écarts grandissants ?  

C’est donc dans les usages “passifs” ou “actifs”, que l’on distingue un fossé. Cette différence relève non seulement du manque de compétences, mais aussi du contexte social. Selon la sociologue Jen Schradie, la classe sociale a une énorme influence sur la nature du contenu que les internautes produisent en ligne. Un constat soutenu par Éric George, chercheur en sociologie de la communication, qui distingue une tendance : “72 % des utilisateurs d’Internet en milieu ouvrier ont un objectif de divertissement, contre 36 % seulement chez les cadres supérieurs.” Incapables de se servir de la technologie pour saisir leur chance sur tous les fronts (social, économique et culturel), les utilisateurs passifs filent droit vers le décrochage socio-professionnel. 

Dans sa tribune dans Libération, Rachid Zerrouki, professeur en SEGPA (Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté) à Marseille, constate que malgré le fait que 98 % des 12 à 17 ans aient un ordinateur chez eux, leur niveau de connaissances de l’outil numérique varie énormément. Ils peuvent avoir une maîtrise complète de l’univers numérique du divertissement et dans le cadre de leurs études, se heurter à des actions simples, telles qu’ouvrir une nouvelle page dans un navigateur. Les besoins de diversification de l’utilisation du numérique sont particulièrement forts dans les zones prioritaires, que ce soit en matière de capacités techniques ou par rapport au contexte social. Dans les quartiers populaires, les inégalités incluent de moins en moins l’accès à internet, mais plutôt les ressources sociales, culturelles et économiques déjà bien identifiées.


Apprendre le numérique dès le plus jeune âge 

Digital native ou pas, on ne naît pas sachant se servir d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un smartphone, c’est une compétence qui s’acquiert. En outre, les choses se compliquent quand cette compétence repose sur des capacités plus fines, de compréhension et d’analyse. Grâce à l’esprit Montessori, COLORI inculque les principes de la programmation et l’algorithmie aux plus jeunes dans le contexte de leur environnement. Les ateliers cherchent également à éclairer sur des sujets complexes comme la robotique et les grands enjeux du numérique. 

Depuis 2012, la France est devenue le pays avec l’école la plus inégalitaire de l’OCDE (étude PISA 2015). On parle d’une décennie de régression constante, accompagnée de la baisse du niveau des élèves issus des collèges REP/REP+. En 2016, 24,7 % des élèves étaient en difficulté contre seulement 14,9 % hors éducation prioritaire (enquête PISA 2016 et OCDE 2016). Dans les quartiers prioritaires (QPV), le taux d’illettrisme est deux fois plus élevé que la moyenne nationale. Sans parler des 98 000 jeunes (enquête Deep, 2016) qui sortent du système scolaire chaque années sans diplôme, se privant ainsi du socle de connaissances qui favorise un usage « actif » du numérique. Il est urgent de remédier à ces inégalités en développant autrement les compétences permettant d’en tirer le meilleur parti.

Autre complication supplémentaire, parents et professeurs se débattent avec une injonction paradoxale : il nous faut préparer les enfants à ce tout-technologique, mais il faut aussi éviter d’exposer les jeunes enfants aux écrans, car ces derniers abîment la capacité à se concentrer par exemple. Heureusement, la culture numérique peut s’apprendre sans écran, contrairement à ce que l’on peut croire. S’informer en posant les bonnes questions et exercer un avis critique sur les résultats qui nous sont exposés nécessitent plus une tête bien faite qu’une capacité à enchaîner les lignes de code. Ces choses ne relèvent pas de capacités techniques, plutôt d’une compréhension des fondamentaux de l’écosystème internet. Pour améliorer l’utilisation des outils numériques par les plus défavorisés, il s’agit premièrement d’ouvrir les portes de la culture du numérique et de sortir d’une vision purement technologique, rebutante et marginalisante.

“Il n'est jamais trop tôt, ni trop tard pour apprendre à coder.” Intervention d’Amélia Matar, cofondatrice de COLORI, et d’Aurélie Jean, docteur en sciences numériques et fondatrice de Mixr.

Lutter contre la marginalisation numérique 

“Et pendant qu’on façonne un monde de plus en plus connecté dans lequel l’exclusion numérique vous laisse au bord du chemin, vous bâillonne et vous condamne à un rôle d’observateur invisible et inaudible, c’est toute une cohorte d’adolescents fragiles, des milieux populaires ou ruraux, qu’on condamne à rester des digital immigrants.” Rachid Zerrouki 

A l’heure actuelle, nous avons une chance d’inverser la tendance à la discrimination technologique, tout simplement en inscrivant la transmission des fondamentaux du code informatique et de la culture numérique aux enfants dans le temps scolaire. Il faut avant tout donner du sens à l’utilisation d’internet à cette génération à la fois hyper connectée et touchée par l'illettrisme numérique. Ainsi, les élèves pourront acquérir dès le plus jeune âge des compétences et des habitudes indispensables pour leur avenir. Par l’éducation nous pouvons prévenir les dangers d’une utilisation “sauvage” et irréfléchie des écrans. 

Plus alarmant encore, on sait déjà qu’avec le développement de l’intelligence artificielle et de l’internet des objets, la discrimination s’imprègne peu à peu jusque dans le fonctionnement des machines. Le problème se situe entre la chaise et le clavier : les biais cognitifs sont véhiculés par les concepteurs eux-mêmes, à savoir en majorité des hommes issus de milieux plus ou moins privilégiés. Il est donc grand temps d’agir. Une récente étude américaine (“Computer Science Education Coalition Press Release.” CSE Coalition. Accessed November 10, 2016) démontre qu’introduire l’apprentissage de la programmation au plus jeune âge, favorise des vocations dans ces métiers, notamment auprès de populations habituellement sous-représentées : les femmes et les personnes issues de milieux défavorisés. 

Il est urgent d’enrayer au plus tôt les mécanismes inégalitaires du numérique, notamment en permettant aux jeunes issus de milieux défavorisés de bénéficier d’un enseignement de qualité sur ces sujets, et ce dès le plus jeune âge. Ces acquis seront de précieux atouts pour qu’ils évoluent en professionnels éclairés dans un monde de plus en plus numérisé. D’une part, les salaires et les évolutions de carrière dans le secteur sont parmi les plus compétitifs du marché actuel. D’autre part, le numérique a terriblement besoin de s’enrichir des profils de tous horizons. Si l’on espère un jour construire une société plus inclusive où l’égalité des chances deviendra la norme, lutter contre la fracture numérique dès l’enfance est capital. 


Pour aller plus loin : 

COLORI et l’égalité des chances

L’action en faveur de l’égalité des chances fait partie de l’ADN de COLORI. Sa fondatrice Amélia Matar, a grandi en Seine-Saint-Denis et a réalisé une partie de sa scolarité dans un établissement classé en ZEP (l’ancienne appellation de REP). Convaincue que le numérique contribue à creuser les écarts, elle a fait de COLORI un projet résolument inclusif. Ainsi, des ateliers sont proposés aux enfants de plusieurs communes, au sein des centres de loisirs publics. Les villes de Pantin, Rosny sous-bois, Montreuil, Lieusaint, Le Perreux et Lieusaint accueillent cette initiative. De nombreuses autres villes ont manifesté leur intérêt.

Contactez-nous pour plus d’informations : amelia@colori.education